Ars Magna
V.I.T.R.I.O.L.
Visita Interiora Terrae
Rectificando Invenies Occultum Lapidem
Visita
Œuvre au noir
La première fois elle était vêtue de noir. Il était chez lui,
il écrivait sur sa machine comme à son habitude. La chambre était sombre, une odeur
de tabac froid et de whisky y régnait. Il fume et pense à elle.
Il l'attend.
Il attend,
comptant les minutes, des minutes de doute, car elle lui est inconnue.
Ainsi, en noir
elle arrive chez lui, une cigarette à la main. Elle le regarde et sourit, car
elle l'a toujours connu.
Il lui offre un
verre ; délicieuse, elle le hante avec ses yeux quelques secondes, puis éteint
sa cigarette. Lentement elle lui prend le verre de la main et le pose
délicatement.
Quelques secondes
encore, puis elle le touche, se lève, pose ses lèvres sur les siennes et dans
un moment d'échange magnétique il l'étreint, la serre, et l'entraîne vers le
fauteuil pourpre.
Et au son
enchanteur et mystique des mélodies de Bach, dans son deux-pièces a l'odeur de
narcotiques, il lui récite des phrases interdites, des mots proférés par des
philosophes inconnus, et la fait souffrir.
La, entoures de
livres et de parchemins, il lui fait l'amour.
Interiora
Œuvre au rouge
Ainsi, la
caressant de ses mots jour après jour, il l’apprivoisa. Elle, séduite, et lui
un criminel de la pensée, un homme sans passé.
Il lui a montré le chemin du plaisir qu’elle
croyait enfoui dans les catacombes de son inconscient. Elle se reniait, elle
croyait vivre la réalité en fuyant tout ses rêves, mais c’est un rêve qu’elle
vivait. Trop longtemps elle s’est crue capable de fausser l’amour, de le
dégrader, de l’imiter. Il lui a montré que c’est elle qui crée l’histoire, et par
son existence même, il en était la preuve.
Elle se donnait
de plus en plus et ses mots toujours plus impudiques découvraient en elle des
sentiments qu’elle croyait fictifs. Des sentiments impossibles.
Mais il
persévérait, il lui faisait l’amour avec des phrases ; et elle, son esprit
inhabitue a de telles agressions, pervers en son essence, y prenait plaisir.
Elle apprit à jouir mentalement. Toujours plus passionnément.
Terrae
Œuvre au bleu
Doucement il la prit
dans ses bras et lui a murmuré les mots qu’elle voulait entendre. Il se
plaisait à ce jeu. Vide, il y jouait souvent. Elle n’était pas la seule et elle
le savait, mais mentalement elle le vivait comme on vit le temps de lire un
livre. Comme un espace alternatif entre le monde qu’elle méprisait et l’idéal
irréel qu’elle se construisait.
Son monde à lui
était désormais trop parfait et il puisait sa puissance dans sa vision à elle.
Il s’est construit comme une métropole, engloutissant tout ce qui entravait son
expansion.
En superpuissance, il voulut dominer. La
dominer à elle, la posséder en entier, son réel et son fictif. Reconnaissant
une dualité, si divisée elle-même, elle se lança.
Elle embrassa le
démon de la fatalité, et se laissa envahir encore une fois. Pourtant elle
savait sa trêve de courte durée. Si elle aimait rêver, elle n’était pas pour
autant aveugle.
Rectificando
Œuvre à l’orange
Lorsqu’on atteint
un certain degré d’implication, le retour à l’état d’ignorance extatique est
exclu. Confrontée a ses mots, elle fume, elle se rempli d’une douleur forcée.
Elle n’est plus femme mais fantôme amputé au monde des morts et condamne à
vivre une demi-vie. Elle l’écoutait et l’aimait d’un amour figé, plastique.
Adorant l’Exu, le démon, se donnant aux mains de son ravisseur. Elle voulait
qu’il la guérisse, qu’il la touche et la purge. Mais l’histoire est finie avant
d’avoir commencée. Il a rectifié le rêve.
Elle pleurait sa
perte alors qu’elle le possédait toujours… Ses yeux mouillés se posent sur sa
cigarette, c’est lui qu’elle voit à travers la fumée.
Consciente du
temps qui passe, soudain tout devient clair, elle sait qu’elle ne peut plus
marcher dans les rues avec détachement, elle ne veut plus prétendre pouvoir
l’oublier, elle ne veut plus se tuer. Incontournable, inévitable, le temps la
projette dans une histoire dont elle ne veut plus connaître la fin. Elle
rejette l’ignorance avec outrage et demande l’inconnu, l’imprévisible.
Invenies
Œuvre au jaune
Ainsi, elle avait
choisi le chemin de la douleur, c’était une décision non pas affective mais
rationnelle. Elle se sentait comme une Jane Eyre des temps modernes. Elle
vivait désormais une dualité des plus rassurantes. Sa vie devenant paradoxe et
son rêve prenant forme.
Elle commençait à
s’y plaire à ce jeu… entièrement. Avec l’un elle était adolescente silencieuse,
donnant son corps mais très peu de son esprit. Avec l’autre, elle était femme,
par son esprit elle désirait son corps, et par ses mots elle voulait
l’assoiffer.
Par les phrases
et les idées, elle aimait qu’il la fasse souffrir, elle se découvrait des
affinités à cette douleur. Elle pense à George Sand et à l’amour des lettres,
au sadisme philosophique, et elle se retrouve.
Occultum
Œuvre au vert
Deux semaines il
hésita. Au quinzième jour, il écrivit de l’amour. Il l’aime. Du moins, il le
croit, le pense, le rationalise, le sait. Il lui demanda sa réalité. A ce point
de l’histoire, le rêve se dissout du réel, et la suite n’est plus que fantasme
à espérer.
Elle cherchait
une pierre mythique, il l’a vue, l’a trouvé et la lui a offerte, la posant
délicatement sur son doigt. La dualité s’efface, se désintègre, désormais il
peut la toucher, la sentir, la goûter.
La deuxième fois,
elle était vêtue de vérité.
Dans un univers
toujours pervers et plaisant, il la prend loin. Loin des mépris et des
machines, loin, très loin du vide et du froid infernal… Seuls, trois jours
durant, il l’inscrit en lui, la sublime.
Puis, il fume,
elle le regarde et sourit, car elle le reconnaît.
Elle voulait vivre cet épisode comme l’espace qui
définit le temps de lire un livre… elle l’a fait. Le livre terminé, elle
connaît désormais la fin. Mais cette fin, trop moche, trop froide, calculée et
téméraire, par trop humaine et réelle, elle ne l’écrira pas.
Elle écrira sa fin, digne d’un rêve. Trois jours
elle l’a rêvé, trois jours elle l’a vue, trois jours elle l’a désiré, trois
jours elle l’a écouté, trois jours il l’a fait souffrir, trois jours il l’a
touché et pendant trois jours, ils se sont aimés.
Lapidem
Oeuvre au blanc
La dernière fois,
elle était vêtue de blanc.
Il était chez
lui, il écrivait encore, sur sa machine. Il faisait jour, les volets ouverts
laissait entrer une brise fraîche qui parfumait la chambre... il regarde son
dernier paquet de cigarettes avec nostalgie, il ne fume plus.
Il attend, et le
temps passe.
Un bruit familier,
une ombre connue.
Ainsi, en blanc
elle arrive chez lui, elle fume toujours. Elle le regarde, baisse les yeux et
l'embrasse furtivement.
Elle voit un homme, un inconnu. Il ne lui
offre pas un verre, il n'achète plus de boissons.
Elle lui prend la
main, il la serre quelques secondes mais elle se retire. Elle se dirige vers le
fauteuil pourpre, la lumière lui pique les yeux, elle se cache le visage et
s'assoit.
Il prend un
disque et alors s'entend une musique rythmée inclassable dans son genre, il continu
à écrire. Elle l'observe, pose son regard sur ses mains, et suit les mouvements
de ses doigts qui pressent érotiquement sur les touches marquées du clavier.
Sur chaque lettre, une pression différente, amoureuse, délicate mais violente.
Son esprit ressent un désir mais elle ne dit rien.
Elle le regarde
faire souffrir son amante plastique et dévote.
Elle a visité son
esprit un jour et lui a fait l'amour avec passion, il la conquit comme une
terre neuve, elle l'a aimé, ensembles ils ont transformé la réalité, la
rectifiant pour satisfaire leur plaisirs pervers.
Et en rectifiant,
avec des mots, par des mots, elle a trouvé la lumière.
Sa lumière à
elle, sombre et ambiguë. Sa pierre. Elle se lève et sort.
***
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